Ribéry : « Je suis de nouveau un homme heureux»

 A presque 29 ans, Franck Ribéry éprouve une passion intacte pour son métier et voue un profond attachement aux Bleus. Endurci par les épreuves, il a mûri et se confie en toute simplicité.

 Ribéry : « Je suis de nouveau un homme heureux»

    Un épais tapis neigeux a recouvert Munich. Pas de quoi refréner, en cette matinée de février, les ardeurs des joueurs du Bayern rompus aux rudesses de ce climat continental. L'entraînement à peine achevé, Franck Ribéry nous rejoint au restaurant du club bavarois. La poignée de main est franche. Le verbe enjoué. Trente minutes durant, l'international tricolore (56 sélections) va poser des mots justes pour dépeindre ses sentiments. Avant de retrouver les Bleus pour défier l'Allemagne mercredi à Brême, l'ancien Marseillais, auteur d'un doublé hier face à Schalke 04 (2-0), ouvre son cÅ?ur, confie ses espoirs, évoque aussi ses blessures intimes.

    Vous souvenez-vous de votre dernier match en Allemagne avec les Bleus ?

    Franck Ribéry. C'était la finale du Mondial 2006. Et encore aujourd'hui, quand je revois nos rencontres contre l'Espagne (3-1), le Brésil (1-0) ou le Portugal (1-0), j'ai la chair de poule. Je vis des choses exceptionnelles avec le Bayern Munich. Mais là, c'était encore plus intense. Mes débuts en sélection, c'était tellement extraordinaire! Les gens m'aimaient et je le leur rendais bien. J'ai vraiment envie que tout recommence.

    Pourquoi n'êtes-vous pas le même joueur en club et en sélection ?

    Avec le Bayern, j'ai retrouvé le plaisir. Ici, je sens mon corps totalement libre. Je tente et je réussis des gestes. En équipe de France, ce que je fais est encore un peu forcé. J'étais mieux contre la Belgique en novembre (0-0). Plus serein. Quand je vais marquer (NDLR : son dernier but remonte au 1er avril 2009) et donner quelques bonnes passes, ça va revenir.

    Où puisez-vous cette confiance ?

    Tout se passe dans la tête. A moi de me poser les bonnes questions, sans me mettre trop de pression. Quand je rate un truc en sélection, ce n'est pas la fin du monde. J'ai voulu revenir et tout exploser. Le foot, ce n'est pas si simple. Je ne dois pas brûler les étapes. Je connais mes qualités. En forme, j'ai le potentiel pour réaliser de belles choses en équipe de France.

    Comme vous y parveniez déjà entre 2006 à 2009 ?

    Je ne suis pas moins performant. Peut-être même meilleur. Je suis plus efficace devant le but. Avec l'expérience, je sais mieux quand je dois poser le jeu ou l'accélérer.

    Le match de mercredi à Brême peut-il servir de déclic ?

    Je ne vais pas m'en faire une montagne. Ce serait le meilleur moyen pour passer à côté. Mais j'ai un bon pressentiment. On va jouer ce match pour le gagner. Ã?a ne sera pas simple car, en face, on aura une grande nation.

    Pouvez-vous devenir l'un des patrons de cette équipe de France ?

    On attend beaucoup de moi. Je suis l'un des plus expérimentés. J'essaie d'apporter mon vécu aux jeunes. Je m'exprime dans le vestiaire. Je suis accessible. Je n'oublie pas comment j'ai été accueilli en 2006 par les anciens. Dans la vie, il faut savoir renvoyer l'ascenseur.

    Avez-vous été meurtri par les sifflets du Stade de France contre la Belgique ?

    C'est toujours difficile à entendre. J'ai été mauvais au Mondial et, pour ça, les supporteurs peuvent m'en vouloir. Cet échec m'a anéanti. Ils doivent aussi le savoir. J'aime toujours profondément ce maillot bleu. C'est, à chaque fois, une immense fierté de revenir en sélection. Avant, j'étais le chouchou du public. Après, j'ai été rejeté. Mais mon histoire avec les Bleus est loin d'être finie. Avec les supporteurs, on a encore de beaux moments à partager.

    En Allemagne, en revanche, on vous adoreâ?¦

    A Munich, les gens attendent que j'ai le ballon. Ils savent qu'il va alors se passer quelque chose. J'ai besoin de cette proximité. Ã?a me donne la force de vouloir toujours attaquer, dribbler, marquer. Je n'ai jamais triché avec eux. Quand j'ai connu des soucis, ils ont toujours été derrière moi. Maintenant que je suis revenu à mon niveau (NDLR : 10 buts et 10 passes décisives en Bundesliga cette saison), je lis dans leurs yeux du plaisir.

    Dans votre vie, il y aura forcément un avant et un après 2010 (NDLR : l'affaire Zahia, le fiasco du Mondial sud-africain)â?¦

    Je ne vais pas vous mentir. C'était horrible. Vraiment. J'ai vécu la période la plus noire de mon existence. C'est derrière moi. Je n'ai plus envie d'en parler. J'ai tourné la page. Je suis de nouveau un homme heureux.

    Comment vous êtes-vous reconstruit ?

    Si on reste dans son coin, on garde en soi de la tristesse. La vie, je ne la conçois pas ainsi. Je suis passé par des chemins bizarres. Et j'ai été costaud. On s'est serré les coudes avec mes proches. Vous savez, bien avant 2010, j'ai connu mon lot de galères. Rien n'a été simple durant les premières années de ma carrière. Mais j'ai toujours relevé la tête. Dans les pires moments, quand j'avais la tête dans le seau après le Mondial, je m'en suis souvenu. Je me suis dit : « C'est un passage. » J'ai fait le dos rond. Et j'ai avancé. Le travail paye toujours. Le seul juge, c'est le terrain.

    Avez-vous songé à tout arrêter ?

    Jamais. Le football, c'est ma passion. Ma vie.

    Vos proches vous jugent plus mature. Est-ce une réalité ?

    Avant, je marchais à l'instinct. Je donnais trop facilement ma confiance. Je voulais faire plaisir à tout le monde. Certains en ont profité. Ils ont abusé de ma crédulité. Ã?a ne se reproduira plus. Je suis moins naïf. Plus méfiant aussi. Je me suis forgé une carapace. Ã?a ne veut pas dire que je ne suis plus le même. Quand vous êtes en haut, on vous tape sur l'épaule. Chacun se dit votre ami. Quand les choses se compliquent, les masques tombent. Vous comprenez alors sur qui vous pouvez vraiment compter.

    Justement, pour vous, qu'est-ce qu'un ami ?

    C'est quelqu'un de fidèle en qui tu peux avoir confiance. Il t'aime pour ce que tu es et non au regard de ton salaire ou de ta notoriété. Je n'en ai pas beaucoup. Quand on te dit le contraire, c'est que tu te la racontes. Mes amis ne sont pas issus du milieu du foot. Ce sont deux ou trois potes avec lesquels j'ai grandi.

    Zinedine Zidane a compté dans votre parcoursâ?¦

    Bien sûr. Zizou, c'est ma plus belle rencontre dans le football. Il a aussi été présent quand tout allait de travers pour moi. Il m'a appelé. Il était là pour me soutenir.

    Qui est vraiment Franck Ribéry ?

    Une personne simple, au grand cÅ?ur. Si on me demande de me rendre au chevet d'un enfant malade, j'y cours tout de suite. Après, j'ai su faire le tri dans ma vie pour me concentrer sur l'essentiel.

    C'était nécessaire ?

    Des erreurs, tout le monde en commet. Moi le premier. J'en ai conscience. On a tellement écrit de choses sur moi. Certaines étaient vraies, d'autres pas. J'ai un peu servi de bouc émissaire.

    Que possédez-vous de plus cher ?

    Ma femme et mes trois enfants. J'ai eu la chance de pouvoir assister à la naissance de mon fils en septembre . C'était magique. Lors de l'accouchement, j'ai compris aussi que ce n'est pas si facile de porter un enfant pendant neuf mois, puis de donner la vie. Tu sais, quand parfois tout se brouille, quand l'envie s'estompe un peu, il me suffit de rentrer chez moi, d'enlacer les miens pour repartir plus fort.

    Comment imaginez-vous votre petit garçon dans quelques années ?

    J'aimerais bien qu'il joue au foot. Mais je le laisserai choisir. Je suis si impatient de le voir marcher pour taper un peu le ballon avec lui. Avec mes filles, ce n'est pas possible. C'est une autre forme d'amour. La relation père-filles, c'est aussi très fort. Presque fusionnel.

    Quel regard portez-vous sur votre marionnette des « Guignols » ?

    Ã?a me passe au-dessus. Quand j'étais plus jeune, la moindre critique, sur mon jeu notamment, me touchait. Avec tout ce que j'ai pris dans la gueule, plus rien ne m'atteint.

    Avez-vous conscience d'être un privilégié ?

    J'ai une belle vie. Je gagne beaucoup d'argent. Mais je sais d'où je viens. Je suis un gars de quartier. Gamin, certains loisirs n'étaient pas pour moi. Aller à Disneyland notamment. Je n'en ai pas souffert. Le peu que je pouvais avoir, je l'avais. J'ai su rester simple. Je n'ai jamais pris la grosse tête. J'essaie de partager avec ma famille. De les mettre à l'abri du besoin. Je transmettrai les valeurs de générosité et d'humilité à mes enfants.

    Avant Allemagne - France, Michel Platini encense la Mannschaft dans un entretien au quotidien « Die Welt » . « C'est actuellement la meilleure équipe en Europe et la favorite avec l'Espagne pour l'Euro. » Le président de l'UEFA est moins élogieux sur les Bleus : « On a deux ou trois très bons joueurs comme Benzema et Ribéry mais, le reste, c'est moyen. »