Yann Moix : "Ne pas demander pardon m’était impossible"

  ©Getty -  Eric Fougere/Corbis
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La publication du roman de Yann Moix, Orléans (Grasset) a provoqué le premier emballement médiatique de cette rentrée littéraire 2019. Signe des temps ? Pour sa première émission de la rentrée, Marc Weitzmann reçoit en direct Yann Moix et Marie Gil, essayiste et romancière.

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Ecrivain prolifique, disciple de Gide et de Péguy, proche de Bernard-Henri Lévy, mais également figure du milieu littéraire et médiatique - chroniqueur notamment de l’émission "On n’est pas couché" de Laurent Ruquier sur France 2, Yann Moix se retrouve au centre d’une vaste polémique en cette rentrée littéraire. Un premier scandale a éclaté dès la sortie de son dernier roman, Orléans, le 21 août dernier, dans lequel l’écrivain raconte les actes de maltraitance et les humiliations qu’il a subis dans l’enfance. Son père, puis son frère, ont dénoncé le livre comme une pure affabulation. Quelques jours plus tard, l'hebdomadaire L’Express a publié des fanzines antisémites conçus par Moix il y a trente ans, alors qu'il était encore étudiant, ce  que Moix lui-même a fini par reconnaitre avant que, à la fin de la  semaine, Le Monde ne révèle l’étendue de ses contacts dans les milieux négationnistes littéraires d’extrême-droite, contacts qui se sont poursuivis jusqu’en 2013. En cette période de pré-rentrée, la  presse s’est jetée sur l’affaire, d’autant plus brûlante que Moix dénonce l’antisémitisme à coup d’articles chaque fois qu’il en a l’occasion, et ce depuis des années.

Après les affaires Renaud Camus et Mehdi Meklat, notre paysage médiatique et culturel se trouve de nouveau hanté par le spectre de l’antisémitisme. Pour essayer de décrypter cette histoire complexe, parler de négationnisme, mais aussi de confusion médiatique, et enfin de littérature, Marc Weitzmann reçoit Yann Moix et Marie Gil, critique littéraire, spécialiste de la littérature d’avant-guerre et membre du jury du prix André Gide.

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Yann Moix revient sur ses déclarations d'hier sur le plateau de l'émission de Laurent Ruquier, On n'est pas couché, et notamment sur sa demande de pardon "à toutes les personnes qui ont pu voir ces dessins choquants et ces bandes-dessinées obscènes et dégradantes de mon cru" :

Ne pas demander pardon m’était impossible. Mais la télévision est-elle le lieu pour le faire ? Doit-on le faire quand on y est acculé ? Doit-on demander pardon pour une faute commise il y a trente ans dans un fanzine diffusé à 15 exemplaires ? Cela aurait du rester un pardon de moi à moi-même, tel celui que j’ai essayé de m’offrir par tous mes combats depuis plus de 25 ans. Parce que toute ma trajectoire depuis est une réponse à cette ignominie. A cette phase aberrante de ma vie, quelques mois entre 1989 et 1990, mon année noire, et au cours desquels j’ai produit ces écrits abjects, abominables et dégradants pour leurs lecteurs, mais aussi pour leur auteur. Tout cela aurait du rester une affaire intime, or le lieu – la télévision – et les circonstances – y être acculé – me semblent avoir souillé la notion de pardon qui est quelque chose de pur et d’inconditionnel. Yann Moix

Yann Moix revient également sur le sentiment d'humiliation, au centre de son roman, Orléans : "Je suis un humilié de naissance. Julien Green a écrit "Dieu n’ayant pas voulu faire de nous des humiliés, il a fait de nous des humbles." Je ne veux pas faire un abus de causalité, voire un viol de causalité, en établissant un lien entre mon éducation et ces écrits abjects, mais une chose est sûre, mes parents – pas Dieu - ont fait de moi un humilié. Je me vis toujours comme ça. D'ailleurs, je ne me sens jamais à ma place nulle part, sauf quand j’écris.

Et enfin, sur l'errance qui a été la sienne dans sa jeunesse, et sa difficulté à trouver sa place quelque part...

Yann Moix : Mon errance à l’époque, dans les rues de Paris, de squat en squat, résonnait avec une forme d’errance intellectuelle : je ne savais pas quoi penser, et sur le plan littéraire, j’imitais des écrivains, j’allais de style en style… 

Marie Gil : L’errance signifie faire erreur, mais aussi écrire. Errer c’est écrire, dit Rousseau dans "Les Rêveries du promeneur solitaire". L’errance soulève aussi la question de la place. Dans Orléans, Yann Moix évoque des souvenirs de mise au coin à l’école, à la "place du cancre". Il est rassurant de trouver une place, fût-elle celle du raté. Les questions de place et d’imposture sont au cœur de la littérature. Parce qu'écrire c'est forcément écrire dans la polyphonie, dans l’intertextualité d’autres textes, et in fine, faire prendre la place des mots à la vie, et du texte à l’existence. Dans le statut de l’écrivain, il y a cette forme d’exil, cette question de la place jamais réglée…

Yann Moix Sauf que lorsque l'on est en exil par rapport à tout, on n’existe pas. Les seuls endroits où je me sens bien sont les livres, et depuis quelques années seulement, l’étude talmudique. Quand j’étudie à l’Institut d’études lévinassiennes, que je me plonge dans un texte avec d'autres, je me sens alors tout sauf un humilié. C’est un exercice au cours duquel je me sens en résonance avec quelque chose de profond et qui a à voir avec la littérature.

  • A lire aussi...

Bernard-Henri Lévy, Ce que je sais de Yann Moix, Le Point, 1er septembre 2019

Hélène Romano, "Yann Moix, ou l’exemple remarquable du révisionnisme familial face à la maltraitance", The Huffington Post, 27 août 2019

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