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Anish Kapoor invite le chaos à Versailles

INTERVIEW - À partir du 9 juin, l’artiste britannique Anish Kapoor présentera Rencontre dans son atelier londonien.

, Mis à jour le
Le plasticien devant "Dirty Corner" (2011-2015), l'une des six oeuvres qu'il a créées pour orner les jardins du château de Versailles.
Le plasticien devant "Dirty Corner" (2011-2015), l'une des six oeuvres qu'il a créées pour orner les jardins du château de Versailles. © Jaques Grad/Divergence pour le JDD

Quartier de Camberwell, au sud-est de Londres. Bienvenue dans l'antre d'Anish Kapoor , 61 ans, un des plus célèbres artistes contemporains du monde. En 2011, il avait investi la Nef du Grand Palais avec Leviathan, une sculpture gigantesque en PVC rouge, à ce jour le plus beau succès de "Monumenta" avec 277.687 visiteurs. Le 9 juin, il s'installera à Versailles avec des œuvres inédites, conçues pour ce lieu du patrimoine. Il y a un mois, il faisait lui-même la visite à la presse de son atelier qu'il occupe depuis vingt-cinq ans, une bâtisse avec une impressionnante hauteur sous plafond, divisée en plusieurs espaces d'expérimentation. Peu à peu, le plasticien a racheté les hangars avoisinants, afin de stocker toutes ses pièces en cours de finition, de ses toiles organiques à la Francis Bacon, dégoulinantes de silicone, à ses miroirs réfléchissants qui inversent les motifs et jouent avec la 3D. Vingt-cinq assistants, en combinaison intégrale blanche, s'affairent. Les murs sont immaculés, les sols recouverts de taches de peinture. On se croirait sur une scène de crime.

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Comment comptez-vous vous emparer du château de Versailles?
Mon travail n'a aucune vocation décorative. Je veux le faire dialoguer avec l'œuvre de Le Nôtre, qui a ordonné la nature pour l'éternité avec des perspectives géométriques parfaites. Poser des objets de-ci de-là ne sert à rien. J'ai eu l'idée de bouleverser l'équilibre et d'inviter le chaos. Tout en préservant l'intégrité de ce lieu historique : voilà la principale difficulté. Je me suis permis une incursion à l'intérieur, dans la salle du Jeu de Paume, là d'où est partie la Révolution française, où ont été prononcés les mots "liberté, égalité, fraternité", un symbole du pouvoir encore imprégné d'une formidable tension. Face au tableau de David, j'ai placé un canon qui tire 5 kg de cire, une matière évoquant des corps en bouillie, dans un coin de la pièce. Un symbole phallique évident pour une installation controversée qui interroge sur la violence de notre société contemporaine. La présidente de Versailles, Catherine Pégard, fait preuve de courage et de générosité, car c'est une provocation.

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Et dans les jardins?
Face au château, il y aura une mystérieuse sculpture en acier rouillé de 10 m de haut, qui pèse plusieurs milliers de tonnes et avec des blocs de pierres tout autour. Là encore, à connotation sexuelle : le vagin de la reine qui prend le pouvoir. Un projet ambitieux mais pas si démesuré que ça à l'échelle de Versailles. Plus loin, deux gros miroirs et un nouveau bassin, creusé spécialement pour l'exposition. L'eau sera agitée par un vortex, pour créer un mouvement perpétuel. Et dans le bosquet de l'Étoile, on trouvera un énorme cube en bois percé de tunnels, que le public pourra emprunter. La tonalité générale de ma démarche est sombre, je l'admets. À l'entrée de mon atelier, j'ai épinglé la une d'un journal mettant en garde contre le sentiment anti-islam qui se développe en Angleterre et ailleurs. Quand je vois des œuvres d'art et des monuments réduits en poussière par des terroristes, une tragédie motivée par le cynisme, je me demande sur quelle planète on vit. En détruisant le passé, impossible de comprendre le présent. Il ne faut pas fuir ses responsabilités.

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Cette exposition représente-t-elle un défi?
Celui de tout installer en moins d'un mois. Si je me mets à réfléchir, c'est mort. Je fonctionne à l'instinct, mais ma vision doit avoir du sens. L'angoisse monte. Je dois accepter de ne pas savoir à l'avance, de prendre des risques en réalisant des performances pour me réinventer. Mon objectif a toujours été d'agrandir l'espace et de regarder au-delà. Je suis né à Bombay, puis j'ai été élevé à Dehradun, une petite ville située au nord de l'Inde. Au début, je me destinais à devenir ingénieur, comme les autres garçons de mon âge. Seulement je détestais les mathématiques. J'étais toujours en train de fabriquer des choses, pas si différentes de celles que j'imagine maintenant [Rires]. Mon père était dans la marine, on déménageait souvent. Par conséquent, mes "œuvres" finissaient à la poubelle. Je suis arrivé en Angleterre en 1973, j'ai intégré les Beaux-Arts. J'ai alors découvert comment puiser en moi les ressources nécessaires afin de développer ma créativité.

Voir aussi : En images, l'installation des oeuvres de Kapoor à Versailles

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Source: JDD papier

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