Jean-Luc Godard, superstar des réseaux sociaux le temps d’un live sur Instagram

Interviewé chez lui, à Rolle, en Suisse, le cinéaste Jean-Luc Godard s’est longuement exprimé en live, sur Instagram, le mardi 7 avril. Propos lumineux ou fumeux, gros cigare et émojis à gogo… Un mythe contemporain au temps du corona.

Par Jacques Morice

Publié le 08 avril 2020 à 21h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h24

Quoi que l’on pense de lui, il a toujours ce don de surgir de nulle part. Pour faire son numéro, son malin, son lutin. En 2018, souvenez-vous, à Cannes, il avait donné sa conférence de presse depuis chez lui, à Rolle, en Suisse, via… FaceTime. Cette fois, il a choisi Instagram pour livrer le mardi 7 avril, à 14h30, une master class en live, sous la conduite de Lionel Baier, réalisateur du film Les Grandes Ondes (à l’ouest) et responsable du département cinéma de l’Écal (École cantonale d’art de Lausanne). Le thème annoncé : « Les images au temps du coronavirus ». Du pur Godard, si l’on peut dire.

La première bonne nouvelle, et somme toute la plus importante, c’est que l’auteur d’Adieu au langage, 90 ans en décembre prochain, a l’air de bien se porter. Cigare en bouche, il arborait un débardeur vert du plus bel effet — pas le même vert d’espérance que celui de la reine Elizabeth II lors de sa récente allocution télévisée, n’empêche, on y a pensé. Sa voix était un peu chevrotante au début, mais au fil des minutes elle s’est éclaircie.

Pour dire des choses insolites et un peu fumeuses, comme : « Le virus est une communication. Il a besoin d’un autre, d’aller chez le voisin, comme certains oiseaux, pour y rentrer. Quand on envoie un message sur un réseau, on a aussi besoin de l’autre pour entrer chez lui. » C’était parfois filandreux, un peu ennuyeux, mais comme toujours, il y avait des étincelles, des perles à saisir. Comme ces « nuées de sauterelles » pour évoquer les filles de joie surgissant sur Skype. Ou tel personnage d’une peinture de James Ensor ressuscitant à travers le visage caché par le masque blanc de protection que portait son intervieweur, Lionel Baier.

On a appris que l’oracle de Rolle travaillait avec Fabrice Aragno, son proche collaborateur, sur un projet de film, où il aborderait entre autres Niépce, figure pionnière de la photographie. « Il voulait juste copier la réalité et la fixer. Mais est arrivé Daguerre qui l’a escroqué. » Il a rappelé que la photographie était née avant les impressionnistes et que ces derniers avaient peut-être œuvré en réaction contre elle.

Comme dans Le Livre d’image, il est pas mal revenu sur la main, sur le geste, celui de peindre ou d’écrire. « J’écris mes films à la main, en tout petit. Et je ne peux pas me relire. Donc je dois réécrire. On rejoint Boileau : “Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : polissez-le sans cesse et le repolissez.” Ou bien Maître Eckhart, que j’ai cité dans Histoire(s) du cinéma : “Seul celui qui efface peut écrire.” »

Il a été question aussi de médecine. De science. De la distinction fondamentale à laquelle Godard tient tant entre la langue, source de confusion, et ce que les artistes et les grands écrivains, Joyce ou Beckett, vont chercher en deçà ou au-delà, à savoir du langage « un peu primitif ». Rien de nouveau de ce côté-là.

En revanche, ce qui l’était, c’était le dispositif spécifique à Instagram, qui a donné à cette rencontre un caractère de carnaval un peu surréaliste. Car pendant toute l’heure et même plus (une heure trente en tout !) de ce live, on a assisté à une avalanche de questions ou de commentaires à l’hétérogénéité fabuleuse. Un flux anarchique de mots et d’émojis, un chaos drolatique où perçait parfois de la raillerie mais où dominait surtout de la godardolâtrie. En vrac, on a relevé ça : « Godard, tu es chaud pour un feat ? / Love from Turkey / Tu fais tes courses où, Jean-Luc ? / Risi médecin et cinéaste / Godard attaquant ou défenseur ? / Love from Luxembourg / La mort d’Anna Karina ? / I love u man / A comic one / Take care master / Aimé Pache / I can see God / Merci pour tes films mon babtou / The coolest guy in the world / JLG is the French Eminem / Du vert comme la Queen / Liberté pour le Kurdistan »…

En suivant sur notre smartphone ce feu d’artifice visuel en même temps qu’on écoutait le scribe au cigare de pharaon, on se disait qu’il y avait là comme une image : celle de Godard nageant avec joie dans le domaine public, cultivant son mythe tout en s’offrant en pâture, suscitant le jeu, quitte à se voir transformé en créature kitsch. À voir ces milliers de cœurs de toutes les couleurs, s’envolant comme des ballons, de manière quasi ininterrompue pendant l’heure et demie, il y avait de quoi se réjouir : le show était viral.

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