Au musée de Tolède, la collection d'art que la Belgique a ratée
Ouverture à Tolède de l’exposition permanente de la collection de l’Américain Roberto Polo qui aurait pu revenir à la Belgique. Un ensemble de plus de 250 œuvres rares d’artistes européens, américains encore trop méconnus et de pionniers belges du surréalisme et de l’abstraction.
- Publié le 09-05-2019 à 13h13
- Mis à jour le 09-05-2019 à 13h14
Ouverture à Tolède de l’exposition permanente de la collection de l’Américain Roberto Polo qui aurait pu revenir à la Belgique. Un ensemble de plus de 250 œuvres rares d’artistes européens, américains encore trop méconnus et de pionniers belges du surréalisme et de l’abstraction. Nous annoncions le projet dès février dernier, aujourd’hui, un an plus tard, c’est dire si tout a été mis en place rapidement, une partie de la collection d’art moderne et contemporain de Roberto Polo est exposée à Tolède dans le musée qui lui est totalement dédié sur près de 8 000 m². Un espace patrimonial qui à lui seul vaut la visite, admirablement placé sur la falaise de la ville, l’ancien couvent de Santa Fe devient donc officiellement : Collection Roberto Polo. Centre d’Art moderne et contemporain de Castilla-La Mancha. "Jamais, nous dit Roberto Polo, je n’aurais pensé que ma collection aurait trouvé un tel écrin muséal." Pour le mécène, historien de l’art cubano-américain (Cuba, 1951), c’est un vrai rêve. Il aurait pu le réaliser en Belgique où il a vécu pendant plus de onze ans, mais rien ne l’y a invité, car sa collection n’a, malheureusement pour nous, pas retenu l’intérêt des autorités de la politique culturelle.
Néanmoins, Michel Draguet, actuel directeur général des Musées royaux des beaux-arts de Belgique, fait partie du conseil d’administration de cette institution qui désormais met à l’honneur nombre d’artistes belges ! Ce musée sera au moins l’occasion de faire rayonner la peinture belge du début du siècle passé au plan international et de faire connaître quelques-uns de nos artistes contemporains repris dans la collection.
Une institution prestigieuse
La présentation actuelle comprend environ 250 œuvres sur les 500 cédées au musée pour quinze ans avant une cession définitive. Quant à la collection complète, elle compte plus de 7 000 œuvres dont des séries impressionnantes de dessins. Un second volet sera accessible au public d’ici 2023 dans un autre site patrimonial de la Région Castilla-La Mancha, le bâtiment historique des Archives historiques provinciales dans la cité médiévale de Cuenca. D’ores et déjà, le Centre d’art muséal et la collection font partie, selon Sotheby’s, des 350 musées les plus prestigieux au monde ! Aurions-nous raté quelque chose ? Il faut dire que les autorités espagnoles qui ont sollicité Roberto Polo - il ne fut pas demandeur - ont perçu de suite l’intérêt, l’originalité et la qualité de cette collection.
De ce fait, ils introduisaient à Tolède un pan inexistant sur place de l’art moderne et contemporain. Et Roberto Polo, en historien de l’art, de souligner que la présence de cet art belge à Tolède établit un pont avec la peinture flamande très influente en Espagne sous Philippe II et Charles Quint.
Les pionniers de la modernité
La collection et l’exposition permanente portent principalement sur l’art occidental du Nord et sur l’art américain. Le moins que l’on puisse dire, est de souligner la foncière singularité et une présence belge prépondérante. Américain, Roberto Polo a fréquenté assidûment les artistes de son pays et l’expo à Bruxelles Painting After postmodernism, sous son égide, nous a donné un aperçu de ses options. Avant d’ouvrir une galerie à Bruxelles, il fut galeriste et marchand à Paris où il se focalisait sur l’art de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Les œuvres, il les trouvait fréquemment en Belgique. Ce qui le conduisit à s’intéresser de plus près à l’art belge d’avant-garde. Installé à Bruxelles, il poursuivit ses investigations et multiplia les achats, constatant, ahuri, le peu d’intérêt porté chez nous à cet art pourtant à la pointe de la modernité de l’époque. Deux axes furent privilégiés, le surréalisme avec Dada, et l’abstraction.
Son souci ne fut pas celui de l’exhaustivité. Mais bien celui de la redécouverte d’authentiques pionniers. La rareté et l’originalité historique ont guidé un œil perspicace. Rapidement, il fut sollicité pour des prêts muséaux et, petit à petit, cette période si fructueuse pour l’art belge fut reconsidérée. Mais, aujourd’hui, scrupuleusement expertisées, toutes ces pièces se trouvent en Espagne ! Elles ont valeur muséale de premier plan. Et plus d’une redessine l’histoire de l’art, car elles sont foncièrement novatrices. Les dates de création en attestent. Pour les amateurs d’art, un voyage à Tolède s’impose afin de découvrir cet art belge dans un cadre international !
Un aperçu de la riche collection
Dans l’expo permanente, ne cherchez pas les grandes vedettes américaines, ni un Magritte. Par contre les œuvres d’exception, méconnues, ne manquent pas dans un itinéraire non chronologique, plutôt thématique qui couvre deux périodes. La première de 1900 à 1927 avec quelques antécédents dont des Mellery, G. Moreau, une fabuleuse peinture en laine de Rippl Ronai, un Delacroix, un Daumier… La seconde de 1950, avec le retour de l’abstraction via Jo Delahaut, jusqu’à nos jours avec des Marc Maet, Gunderson en vagues noires, J. Kazlowski, H. Mehring, Peter Van Gheluwe, Sadie Murdoch, Werner Mannaert à qui est consacré un immense solo dont on reparlera, Carl De Keyzer, Joris Ghekiere, Vanriet, une sculpture et un immense tableau noir perlé de pièces de monnaies de Xavier Noiret-Thomé, ainsi que plusieurs œuvres abstraites remarquables de Walter Darby Bannard, un des premiers minimalistes américains… Tout au long du parcours, l’œil se régale de ces œuvres à (re)découvrir pour la plupart, car c’est le choix personnel d’un collectionneur et historien qui regarde les qualités esthétiques et la valeur historique plutôt que de se focaliser sur des noms retentissants.
Parmi les œuvres de la première période, on ne peut qu’admirer un très rare (1923) Schlemmer (autoportrait grotesque ??) à côté d’un Man Ray (1960), une statue en bois noir (1923) de Gustav Miklos, un paysage urbain finement coloré de Kandinsky (1908), un Schwitters, un tableau en tissus cousus, totalement abstrait de 1910/11 (!) de Schmidt-Rottluff, un assemblage (1915) du Russe Ivan Kliun, et encore la seule sculpture d’époque (1923) en acier et plexiglas de Lazlo Moholy-Nagy…
Côté belge, c’est le foisonnement avec des salles entières et de nombreuses séries dont les Flouquet irradiants des années 20, des Baugniet en peintures et mobiliers, des peintures surréalistes (1925 !) et assemblages de Marc Eemans, des dessins de Karel Maes, des peintures biomorphes de Servranckx, des Paul Joostens dadaïstes, une série de sept Marthe Donas dont la première forme découpée, des Vantongerloo, Prosper de Troyer, Vandercamen, 27 peintures de Roger van Gindertael, un Edmon van Dooren futuriste, des Jozef Peters… De quoi revisiter la riche histoire de cette période durant laquelle la Belgique artistique se situait aux avant-postes !