La série Netflix "Lupin", dont certaines scènes ont été tournées à Étretat, a séduit plus de 78 millions de spectateurs en 28 jours sur la plateforme.

La série Netflix "Lupin", dont certaines scènes ont été tournées à Étretat, a séduit plus de 70 millions de spectateurs en 28 jours sur la plateforme.

Capture d'écran - Netflix

Devant la façade rouge du restaurant "Terra Nera", Camilla sourit à l'objectif. Hilare, cette Danoise de 26 ans s'amuse à prendre différentes poses, désignant de la main l'enseigne de cet établissement du Ve arrondissement de Paris, rendu célèbre pour son apparition dans la série Netflix Emily in Paris. Diffusée en octobre 2020 sur la plateforme, cette série en dix épisodes présente la vie d'une jeune Américaine fraîchement débarquée de Chicago pour découvrir les joies de la capitale, dans un Paris idéalisé et un décor de carte postale. Succès immédiat : la série connaît un franc succès sur Netflix, et décroche deux nominations aux Golden Globes. "J'ai tout regardé en quelques jours, et j'ai adoré. Mes copines vont être mortes de rire en voyant que je suis passée devant le restaurant préféré d'Emily", commente Camilla, ravie de découvrir enfin certains lieux de tournage de sa série préférée. À quelques mètres de là, son compagnon observe la scène, amusé. "Nous ne sommes pas venus à Paris exprès pour ça, mais presque. Le détour par ici était inévitable", assure-t-il.

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"Franchement, ça n'arrête plus", commente l'employée d'une librairie indépendante, située à quelques mètres du restaurant. "On voit défiler toute la journée des touristes surexcités à l'idée de découvrir le quartier où vit la fameuse Emily", raconte-t-elle, légèrement agacée. En cette matinée du mois d'août, la place de l'Estrapade est en effet devenue le théâtre d'un étrange ballet. Malgré la fermeture estivale de la quasi-totalité des commerces, des dizaines de curieux et de fans se pressent devant l'immeuble fictif de l'héroïne, se filment face au restaurant "Terra Nera" (renommé "Les Deux Compères" dans le Paris d'Emily), ou se désespèrent face à la porte close de la Boulangerie Moderne, autre lieu phare de la série, fermée pour congés d'été. "On est un peu déçus de ne pas pouvoir commander un pain au chocolat comme elle, mais on reviendra !", assure une touriste allemande, qui admet avoir fait un crochet dans sa balade matinale pour venir découvrir les lieux de tournage.

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Une effervescence inattendue, qui profite largement à certains commerçants du quartier. Le restaurant "Terra Nera" propose désormais à sa carte un "menu Emily", tandis que la librairie Portugaise et Brésilienne de la place de l'Estrapade avoue avoir séduit de nouveaux clients. "Beaucoup de curieux passent une tête dans la boutique, achètent un livre ou deux, alors qu'ils ne nous auraient jamais connus s'il n'y avait pas eu Emily", assure son gérant. Avant que le Covid et le deuxième confinement ne viennent s'en mêler, Thierry Rabineau, patron de la Boulangerie Moderne, indique de son côté avoir vu défiler "pas mal de touristes étrangers" dans son établissement, venus commander pains au chocolat et baguettes aperçus dans la série. "Ça n'a pas changé mon chiffre d'affaires, mais c'est quand même un bon coup de pouce", indique-t-il.

Même si, parfois, cette médiatisation soudaine apporte son lot de désagréments. "Certains touristes nous prennent en photo sans même demander l'autorisation. On nous a déjà demandé de jouer les méchantes vendeuses pour faire comme dans la série", raconte la co-gérante, passablement irritée. "Mes employées n'ont pas forcément envie de se retrouver sur toutes les photos Instagram des clients", rappelle-t-elle. "Les jours de tournage, certains restaurateurs du coin faisaient franchement la tronche", ajoute une employée d'une brasserie voisine, qui n'a pas pu accueillir ses clients de manière habituelle pour cause de bouclage du quartier. "Ça dure quelques jours, pas plus, mais c'est quand même un manque à gagner pour ceux qui ne sont pas indemnisés", fait-elle valoir.

"Tout le monde ne me parle plus que du Lupin de Netflix"

Pour les professionnels du secteur, cette popularité soudaine d'un lieu après une exposition médiatique à l'international n'a pourtant rien de surprenant. "Le ciné-tourisme a toujours existé, même s'il est parfois difficile à quantifier", explique à L'Express Stephan Bender, délégué général de l'agence Film France. Mais depuis quelques années, le spécialiste observe une accélération du phénomène. "Avec une communication toujours plus poussée, les algorithmes propres à chaque spectateur, le buzz parfois créé en quelques jours sur les réseaux sociaux et l'intérêt international que peuvent susciter certaines séries, les plateformes comme Netflix ont changé la donne", estime-t-il. "Pour une ville, une région, ou même un restaurant ou un musée mis en valeur dans la série, l'impact peut être énorme". Dernier exemple en date ? La série Lupin, diffusée début 2021 sur Netflix et visionnée par 70 millions de spectateurs à travers le monde en seulement 28 jours, dont certaines scènes ont été tournées dans la commune d'Étretat, en Normandie.

"Le succès a été immédiat. Tout le monde ici ne me parle plus que du Lupin de Netflix et d'Omar Sy", résume Maryse Alix, directrice du Clos Lupin, musée consacré aux oeuvres de l'écrivain Maurice Leblanc et situé sur la commune d'Étretat. En quelques mois, la directrice a vu son nombre d'entrées exploser : après une réouverture en mai, elle constate une hausse de 66% des tickets vendus en juin, et de 137% en juillet. Alors que la maison de l'écrivain séduisait jusqu'à présent une clientèle plutôt "vieillotte", la directrice accueille désormais une population bien plus diverse. "Nous avons des jeunes de toutes les classes sociales, des familles, des fans de la série... Ça a donné un énorme coup de boost au musée". Au point de parfois agacer la gérante. "Certains ne s'intéressent pas vraiment à l'écrivain : ils prennent des selfies et des photos pour Instagram, ou se jettent sur le bouquin qu'Omar Sy a entre les mains dans la série comme s'il s'agissait d'un trésor", raconte-t-elle. "C'est peut-être le seul côté négatif, cette sensation d'être devenu une usine à touristes".

"L'effet Netflix est indéniable"

"Depuis la diffusion de la série, on nous parle tous les jours de Lupin. On vend quatre fois plus de BD sur le gentleman cambrioleur qu'avant", abonde une commerçante de la commune. Même constat du côté de l'Office du Tourisme d'Étretat, qui indique avoir reçu de nombreuses demandes de journalistes ou de visiteurs étrangers concernant la série. "Même si nous ne pouvons pas encore le quantifier, l'effet Netflix sur Étretat est indéniable", analyse Éric Baudet, directeur de la communication de l'établissement. "D'un coup, certains se sont rappelé que ces falaises existaient, ou les ont découvertes directement via la série". Une popularité qui amène parfois à des situations amusantes. "Certains ont demandé comment on pouvait accéder au passage souterrain qui mènerait au trésor cité dans L'Aiguille creuse, si c'est uniquement à marée basse ou non... Ça nous a fait rire", témoigne Éric Baudet.

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"Il ne faut pas non plus en faire trop : c'est un épiphénomène qui permet de remettre au goût du jour Maurice Leblanc. 90% des visiteurs continuent de venir pour nos falaises, et non pour Lupin à proprement parler", tient à nuancer le directeur de l'Office du Tourisme, Benoît Remy. Alors que le village de 1200 habitants a accueilli jusqu'à 1,2 million de visiteurs en 2019, et 900 000 en 2020, le directeur s'inquiète surtout de l'accueil réservé aux touristes au sein de la ville. "Franchement, on n'avait pas forcément besoin de ça en plus", glisse une commerçante, qui regrette une sur-fréquentation touristique du lieu depuis plusieurs années. "C'est une goutte d'eau de plus, mais cet été, c'est devenu un cauchemar. On ne peut plus circuler, tout est bloqué. On peut mettre une heure à sortir du village en voiture", s'agace-t-elle.

Les associations écologistes, elles aussi, s'inquiètent. "Le problème, c'est que les falaises ne sont pas faites pour recevoir autant de piétinements : cela précipite leur érosion", regrette Shaï Mallet, porte-parole de l'association de défense du site d'Étretat. Consciente que la série Lupin n'est pas l'unique responsable de cet afflux touristique, la jeune femme pourrait en revanche profiter de son succès pour faire connaître ses combats écologiques : pendant un temps, elle avoue avoir envisagé de contacter Omar Sy pour lui demander d'inciter les touristes au respect de l'environnement sur les plages d'Étretat.

À Marseille, une promotion "énorme"

Car au fil des tournages, de plus en plus de visiteurs pourraient bien se réunir sur les lieux phares de certaines séries. Selon une étude réalisée par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) en 2018, 74% des touristes ayant vu un film ou une série étrangère tournée en France déclarent que ces oeuvres leur ont donné envie de visiter le pays - un chiffre qui monte à 91% chez les Chinois, et à 82% chez les Espagnols. Et alors que 81% des touristes étrangers indiquent avoir vu au moins une série ou un film français récemment, certaines oeuvres sont régulièrement citées, comme les séries Versailles et Le Bureau des Légendes (diffusées par Canal +), ou encore la série Marseille, diffusée par Netflix en 2016 et renouvelée en 2017 pour une seconde saison.

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Plutôt mal accueillie en France, cette série - principalement menée par Gérard Depardieu et Benoît Magimel - semble avoir largement séduit le public étranger, Netflix assurant notamment avoir enregistré de très bonnes audiences en Russie, au Brésil ou au Japon. Un coup de communication énorme pour la ville, dont le nom a même été imprimé en gigantesques lettres blanches sur la colline de Grand Littoral, proche des quartiers Nord, pour l'occasion. "À l'époque, la promotion était énorme : j'ai vu des affiches avec le nom de ma ville imprimées sur des panneaux de six mètres sur six à l'aéroport d'Heathrow. Tout le monde en parlait sur les réseaux sociaux. Nous avons eu une couverture exceptionnelle", se souvient Maxime Tissot, directeur général de l'Office métropolitain de Tourisme et des Congrès de Marseille.

Un cercle vertueux

Alors que la ville jouit d'un fort essor touristique depuis cinq ans, l'homme assure que la série a "joué son rôle". "Il est impossible de connaître la part exacte des touristes venus uniquement grâce au visionnage de Marseille, mais beaucoup de visiteurs étrangers - surtout d'origine russe ou sud-américaine - nous en parlent". Régulièrement, des touristes s'intéressent aux lieux de tournage de la série. "Ils demandent à voir l'hémicycle, l'hôtel de ville, la Bourse, et même le fictif bureau du maire ! Ce sont des lieux qui n'intéressaient pas forcément les gens avant, et qui sont devenus plus populaires", se réjouit Maxime Tissot.

Surtout, le directeur de l'Office de tourisme se félicite du nouvel attrait des producteurs et scénaristes étrangers pour la ville. "Netflix a boosté ça : on leur a montré ce qui pouvait être fait dans nos rues, et comment on pouvait les accueillir. Et c'est une réussite". En 2019, la ville a ainsi enregistré 441 tournages, pour 71,6 millions d'euros de retombées économiques. "Et nous pensons que ça va continuer", assure l'adjoint à la culture de la ville de Marseille Jean-Marc Coppola, citant les derniers long-métrages tournés dans la cité phocéenne - comme Bac Nord, Stillwater ou Bonne Mère. "À terme, certains films ou séries peuvent déclencher une curiosité chez les réalisateurs, qui construiront leur scénario autour d'une ville ou d'une région. Et plus un lieu est visible médiatiquement, plus il entre dans l'imaginaire collectif et profite au tourisme. C'est un cercle vertueux", souligne Stephan Bender.

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