"Chemtrails" : Non, ces traces d’avions ne sont pas provoquées par des épandages de produits chimiques

Des traces de passages d’avions sont considérées par certains observateurs comme étant des nuages de produits chimiques.

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Par Grégoire Ryckmans

Des images de traces d’avions dans le ciel sont largement partagées sur les réseaux sociaux. Pour certains utilisateurs qui publient de telles images, il s’agirait de "chemtrails" : des traînées blanches créées par le passage des avions qui rependraient délibérément des produits chimiques sur la population, à son insu. À ce jour, aucune publication scientifique n’a pu corroborer cette thèse, très répandue dans les milieux conspirationnistes.


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Tous les jours, des utilisateurs publient des images de traînées blanches d’avion et dénoncent ce qu’ils estiment être des "chemtrails". Le terme est la contraction en anglais des termes "chemical" (chimique) et "trails" (traces). Il s’agirait donc de "traînées chimiques".

Cette théorie, qui a fait son apparition sur le web dans les années 1990 aux Etats-Unis connaît un nouveau regain d’intérêt. En Belgique, la recherche du terme "chemtrails" sur Google connaît un pic depuis le début de cette année 2021. Par ailleurs, sur Instagram, des centaines de milliers de photos sont accompagnées du hashtag #chemtrails.

Selon la théorie complotiste des "chemtrails", des avions répandraient des produits chimiques sur les populations à la demande d’agences gouvernementales pour des raisons dissimulées au grand public.

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Comment sont formées ces traces d’avion ? C’est quoi les "contrails" ?

Les traces laissées dans le ciel suite aux passages des avions sont appelées "contrails", pour "condensation trails", ou "traces de condensation". Ces marques classiques laissées dans le ciel par le passage des avions en raison du mélange entre l’air chaud et chargé d’humidité qui sort des turbines de l’avion. Celui-ci se mélange ensuite avec l’air plus froid et plus sec de l’atmosphère.

Comme l’explique Olivier Boucher, chercheur (CNRS) au laboratoire de météorologie dynamique à nos confrères du Monde : "Sous certaines conditions, ce mélange déclenche la condensation de la vapeur d’eau de l’atmosphère en gouttelettes d’eau liquide qui gèlent ensuite quasi instantanément pour former un nuage de petits cristaux de glace".

Il ajoute : "Tous les avions sont susceptibles de faire des traînées. Cela dépend seulement de la quantité d’humidité et la température de la haute atmosphère. Si l’air est sursaturé en vapeur d’eau, les traînées vont rester longtemps dans le ciel, jusqu’à plusieurs heures, et se transformer en un voile nuageux, poursuit le scientifique. Les conditions d’humidité dans la haute atmosphère sont très variables, c’est pourquoi on peut voir des traînées de condensation qui sont intermittentes. On ne sait pas bien prédire cette humidité si bien qu’il est difficile d’anticiper où les traînées vont se former ou pas."

Ces traînées, parfois persistantes dans le ciel, sont donc constituées en grande partie de vapeur d’eau condensée, mais aussi de carbone et autres résidus issus de la combustion du carburant dans les moteurs d’avion. Celles-ci apparaissent parfois en raison de la différence de température créée par la différence de pression entre les surfaces supérieures et inférieures des ailes, des extrémités des ailes ou des moteurs. Les microdifférences des conditions atmosphériques expliquent également largement les différences observées entre chaque type de traînée, leur persistance, ou leur existence.

C’est quoi les "chemtrails" ?

Mais pour les partisans de la théorie des "chemtrails", des "nuages artificiels" sont provoqués par des avions lors du déversement de substances chimiques. Ces traînées seraient également plus persistantes dans le ciel que les "contrails". Par ailleurs, les "chemtrails" se formeraient à des altitudes inférieures aux couloirs aériens habituels.

Ces dispersions de produits chimiques seraient effectuées pour diverses raisons comme : la lutte contre le réchauffement climatique, le contrôle démographique de la population, modifier la météo, contrôler l’économie ou encore effectuer des recherches militaires sur des armes chimiques.

Par ailleurs, ceux qui croient cette théorie estiment que l’augmentation de ces traces d’avion dans le ciel est un indicateur de la volonté "des gouvernements des pays industrialisés" d’épandre "des produits chimiques en général à haute et moyenne altitude à l’aide d’avions vraisemblablement en majorité militaires pour une raison cachée du public".

Une théorie complotiste bien ancrée

Photo de la chancelière allemande Angela Merkel lors de la visite d’un Airbus A350 au salon aéronautique de Berlin en mai 2014.
Photo de la chancelière allemande Angela Merkel lors de la visite d’un Airbus A350 au salon aéronautique de Berlin en mai 2014. © Bundesregierung/Denzel

Un post Facebook publié en octobre dernier a été partagé des milliers de fois. Dans cette publication : des photos de la chancelière allemande Angela Merkel à bord d’un avion avec ce qui est prétendu être des réservoirs remplis de produits chimiques, destinés à être "balancés" depuis des avions.

Les photos montrent en réalité des "ballasts" utilisés lors de vols d’essais pour simuler le poids des passagers, comme l’expliquent nos confrères d’AFP factuel.


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L’un de ces clichés avait d’ailleurs été diffusé en mai 2014 sur le site officiel du gouvernement fédéral allemand, et était présenté comme montrant la chancelière lors de la visite d’un Airbus A350 au salon aéronautique de Berlin.

Géo-ingénierie, ensemencement de nuages et projet HAARP

Certains projets scientifiques actuels ou passés peuvent entretenir la confusion et sont parfois également interprétés par les partisans de la théorie conspirationniste comme des preuves de leurs croyances. Il s’agit de la bio ou géo-ingénierie, de l’ensemencement de nuages ou encore du projet HAARP.

La géo-ingénierie

La géo-ingénierie, c’est le nom donné aux sciences et techniques qui visent à modifier délibérément le climat de la planète, notamment en vue d’en prévenir le réchauffement.

On peut citer par exemple des concepts où des avions émettraient des substances qui pourraient bloquer la lumière avant que celle-ci n’atteigne la surface terrestre. Il est aussi question d’injecter des aérosols dans la stratosphère ou de fertiliser les océans pour favoriser la prolifération du plancton afin de diminuer les effets du réchauffement climatique.

Si ces quelques projets existent, ils sont en phase de test ou restent au stade de la théorie et font effectivement l’objet de débats éthiques au sein de la communauté scientifique. La géo-ingénierie est par ailleurs un sujet régulièrement traité par la science-fiction, car il y a à la fois des aspects prometteurs du point de vue scientifique mais aussi des risques qui sont soulevés.

L’ensemencement des nuages

Une autre technique est utilisée par les partisans de la théorie des "chemtrails" pour l’expliquer : c’est l’ensemencement des nuages. Cette technique consiste à créer de la pluie artificiellement en injectant différentes substances (aérosols, petites particules de glace, iodure d’argent ou azote liquide) dans les nuages. Cette technique est utilisée par différents pays pour : disperser le brouillard, diminuer la grosseur des grêlons, augmenter la quantité de précipitations ou faire pleuvoir avant une cérémonie ou un événement.

Les Jeux olympiques de Pékin en 2008 sont l’exemple le plus célèbre de "l’ensemencement de nuages", où le procédé a été utilisé pour empêcher la pluie de tomber sur les sites olympiques. Il est à noter cependant que ce procédé reste très marginalement utilisé.

Le projet HAARP

Le projet HAARP pour High-frequency Active Auroral Research Program, que l’on peut traduire par "Programme de recherche dans le domaine des hautes fréquences appliquées aux aurores boréales", est un programme de recherche scientifique sur la ionosphère mené par diverses parties liées aux armées américaine et du Royaume-Uni et qui a été lancé dans années 1990.

L’objectif du programme : "Établir une meilleure compréhension des caractéristiques et du comportement de cette couche supérieure de l’atmosphère, notamment pour améliorer le contrôle des systèmes de communication et de surveillance". Il s’agit donc de scruter le ciel pour mieux connaître le plan de vol des missiles ennemis, notamment russes et nord-coréens.

Un objectif clair, mais qui éveille cependant la suspicion des complotistes. Selon eux, il y aurait derrière l’idée de ce programme, la volonté de développer la possibilité de mener des "guerres climatiques", voire de manipuler mentalement des individus à distance et à leur insu grâce à l’envoi d’ondes ELF (extrêmement basse fréquence) de forte puissance.

Les recherches militaires ont été stoppées en 2014, et ont depuis été transférées en 2015 sous l’autorité civile de l’Université d’Alaska. Le projet HAARP aurait pu effectivement devenir un sujet d’inquiétude, mais le projet ne semble pas avoir fait usage d’un grand nombre d’avions et n’a pas reçu le niveau de financement qui aurait été nécessaire à une opération d’envergure à l’échelle des allégations que l’on peut lire au sujet des chemtrails, estime Greenpeace.

Si manipuler le climat était aussi simple, la Californie ne connaîtrait pas la plus grande sécheresse de son histoire, comme c’est le cas depuis plusieurs années déjà… Il y a aussi, la convention Enmod, ratifiée par les Nations unies en 1976, qui interdit formellement tout recours et toute recherche sur des armes visant à modifier l’environnement.

Par ailleurs, l’université d’Alaska organise chaque année une journée portes ouvertes au mois d’août afin de montrer au public qu’elle travaille en toute transparence, et cela afin de contrer les différentes thèses complotistes développées autour du programme HAARP.

Aucune preuve scientifique à ce jour

Selon une étude publiée en 2017 dans la revue Nature, 10% des Américains sont persuadés que la théorie des "chemtrails" est réelle, et entre 20 et 30% croient qu’elle est partiellement vraie.

En France, une enquête Ifop qui date de 2018 indique qu’un jeune de 18 à 24 ans sur trois est globalement d’accord avec l’idée que "certaines traînées blanches créées par le passage des avions dans le ciel sont composées de produits chimiques délibérément répandus pour des raisons tenues secrètes".

En 2016, quatre chercheurs se sont penchés sur la question des chemtrails (lien en anglais). Ils ont interrogé 77 scientifiques spécialisés dans la chimie atmosphérique et des géochimistes. Le résultat est quasi unanime : 76 d’entre eux (98.7%) affirment qu’il n’y a aucune preuve validant la rumeur des "chemtrails".

L’ONG indépendante de défense de l’environnement Greenpeace, particulièrement vigilante sur la question de la pollution environnementale, est régulièrement interrogée sur cette question des "chemtrails". Dans un article, elle indique clairement : "Notre équipe scientifique indépendante n’a, à ce jour, connaissance d’aucune preuve à l’appui de la théorie des chemtrails. Les photos, vidéos et liens vers des sites web qui nous sont communiqués fréquemment depuis plusieurs années ne constituent pas à nos yeux de preuves suffisantes pour justifier l’ouverture d’une enquête approfondie".

Greenpeace ajoute : "Afin d’envisager des recherches, nous aurions besoin de déclarations claires de la part d’experts tels que des chercheurs en physique de l’atmosphère, en mécanique des fluides ou en génie aéronautique ou encore des experts de l’industrie aéronautique, expliquant comment ils auraient déterminé que les traînées en questions sont des chemtrails. Aucun des documents qui nous sont parvenus à ce jour ne remplissent ces conditions scientifiques".

Par ailleurs, si le nombre de "contrails" augmente d’année en année, c’est tout simplement parce que le trafic aérien croît en moyenne de 5 à 6% par an.


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