Non, le Sénat n'a pas "abaissé la majorité sexuelle" à 13 ans

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Une proposition de loi visant à instaurer un crime sexuel sur mineur de moins de treize ans, a été examinée et votée à l'unanimité au Sénat le 21 janvier. Elle a suscité de vives réactions, certains dénonçant un "abaissement de la majorité sexuelle" de "15 ans" ou "16 ans" à 13 ans. Ce n'est pas ce que prévoit cette loi, qui n'est d'ailleurs pas encore définitivement adoptée. Elle vise à créer un crime qui n'existait pas auparavant, même si l'âge retenu dans ce texte fait l'objet de critiques d'associations.  

"Les dominants veulent abaisser la majorité sexuelle de 16 à 13 ans!", "ils n'ont pas mieux à faire en ce moment que de perdre du temps à se poser la question de faire baisser l'âge de consentement ? On va dire un truc, vous laissez à 15 ans, "pedoland bonjour, Crimes sexuels sur mineurs : une proposition de loi veut baisser l'âge du consentement à 13 ans", fustigent certains internautes (1, 2).

La polémique intervient en pleine "affaire Olivier Duhamel", accusé dans un livre par sa belle-fille Camille Kouchner d'avoir violé son frère jumeau quand ils étaient adolescents dans les années 80.  Une enquête est actuellement en cours pour "viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur mineur de 15 ans".

Depuis la parution du livre, ces accusations suscitent un vaste débat et de nombreux témoignages sur l'inceste, notamment sur les réseaux sociaux via le hashtag #Metooinceste. 

"On durcit la loi", rétorque au contraire Annick Billon, présidente centriste de la délégation aux Droits des femmes à l'origine du texte. "La volonté du Sénat c’est bien de punir les agresseurs sexuels". 

La loi aujourd'hui 

Il n'existe à ce jour pas d'âge de consentement légal en France, ni à 18 ans, ni à 16 ou 15 ans. 

Un article (227-25) du code pénal dispose en revanche qu'"hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d'exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende". 

Un majeur qui aurait une relation sexuelle avec un mineur de quinze ans ou moins peut donc être poursuivi pour "atteinte sexuelle", un délit, sans que la question du consentement ne soit soulevée.

Cet article du code pénal n'est pas remis en cause par le texte de cette nouvelle loi. Un majeur ayant une relation sexuelle avec un mineur entre 13 et 15 ans tomberait toujours sous le coup de cet article du code pénal.

Si le mineur de quinze ans ou moins n'est pas consentant, l'"atteinte sexuelle" peut être requalifiée en agression sexuelle ("toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise") ou en viol s'il y a eu "tout acte de pénétration sexuelle" commis dans les mêmes conditions de "violence, contrainte, menace ou surprise". La charge de la preuve revient au ministère public (en charge de l'accusation). 

Que changerait le texte adopté au Sénat ?  

Elle n'abaisserait pas un âge de consentement (qui n'existe pas à ce jour), ni une "majorité sexuelle". Si elle venait à être définitivement adoptée (elle doit encore notamment passer par l'Assemblée nationale), elle créerait un nouveau crime sexuel contre mineur de moins de 13 ans. 

Elle écarterait en théorie les débats autour du consentement de la victime quand celle-ci est un mineur de moins de 13 ans, dès lors que l'auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime. 

"Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis par une personne majeure sur un mineur de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime", énonce le texte adopté à l'unanimité de la chambre haute.

Le texte "vise à systématiser la criminalisation", défend Annick Billon. "La volonté du Sénat c’est bien de punir les agresseurs sexuels", insiste-t-elle, évoquant "une avancée pour les victimes". 

Pour Cécile Naze-Teulié, avocate spécialiste en droit pénal au barreau de Versailles opposée à la loi, "c'est considérer que les juges font mal leur travail". 

Cette loi ne "créé pas un consentement" à 13 ans, affirme Carine Durrieu, avocate pénaliste à Paris, mais les critiques qui ont pullulé sur les réseaux sociaux trouvent leur origine dans le seuil d'âge choisi. "C’est une interprétation a contrario, qui à mon avis est le reflet d’un insatisfaction sur le seuil d’âge", explique-t-elle.

"Le rapport Alexandra Louis (rapport d'une députée LREM sur la lutte contre les violences sexuelles et sexistes) et les associations étaient plutôt favorables à l’instauration d’un seuil d’âge à 15 ans", poursuit-elle. 

Extrait du rapport Alexandra Louis

Le seuil d'âge 

La question avait déjà été soulevée en 2018, lors du vote de la loi Schiappa "renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes". De nombreuses voix s'étaient élevées pour demander d'instaurer une "présomption de non-consentement", qui considérerait comme un viol toute pénétration sur un mineur de moins de 15 ans, comme nous l'expliquions dans cette dépêche

L'exécutif avait tranché pour l'âge de 15 ans comme seuil de non-consentement, mais avait finalement abandonné cette idée, estimant qu'une telle automaticité risquait d'être rejetée par le Conseil constitutionnel et après un avis défavorable du Conseil d'Etat. Ce dernier avait notamment pointé qu'en laissant "subsister le délit de l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans" (mentionné en début d'article) "un même comportement puisse tomber sous le coup de dispositions distinctes, sanctionnées différemment". 

Des associations s'étaient indignées de ce recul, et le débat est rouvert aujourd'hui. 

"13 ans c’est source de difficulté parce qu’on va avoir une loi peu lisible. On va avoir une sorte de flou entre 13 ans et 15 ans", regrette Carine Durrieu. "La situation d'emprise est possible à 14 ans et la contrainte morale est difficile à prouver". 

"On renforce quand même la protection entre 13 et 15 ans", défend Annick Billon, invoquant un amendement déposé par la sénatrice LR Marie Mercier, qui dispose que "la contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de quinze ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante".

L'association Innocence en danger, si elle a salué dans un communiqué "une réelle avancée législative", demande également à ce que la barre soit mise à 15 ans. 

Au Sénat également la question fait débat. Si la loi a été votée à l'unanimité, la sénatrice Laurence Rossignol (PS) a plaidé pour la fixation de cette barre à 15 ans. 

"Le seuil délictuel retenu pour l'atteinte sexuelle est de 15 ans. Pourquoi faudrait-il un seuil de 13 ans lorsqu'il s'agit d'une qualification criminelle", a-t-elle fait valoir. 

"Treize ans c’est en cohérence avec la responsabilité morale des mineurs", défend Annick Billon, qui déclare également qu'"il peut y avoir des relations amoureuses consenties entre adolescents, et que l'un des adolescents peut devenir adulte" alors que l'autre n'a pas atteint les 15 ans. "Moi j’ai fait une proposition de loi. Si le texte peut aller plus loin et protéger mieux les mineurs j’engage l’Assemblée nationale à s'en saisir et l’améliorer", plaide-t-elle.

Pour Homayra Sellier, présidente d'Innocence en danger, "à 13 ans on ne peut pas avoir le discernement pour dire qu'on a consenti à une relation sexuelle avec un adulte", poursuit-elle, proposant d'introduire une "notion d'écart d'âge".  

"On a failli pendant des décennies. On ne peut plus être dans les déclarations de bonne volonté", conclut-elle. 

Sami Acef