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« Nous voulons une BCE plus transparente »

l'Allemand Jörg Asmussen et le Français Benoît Cœuré, membres du directoire de la BCE. Francois Mori/AP

INTERVIEW - Deux membres éminents du directoire de la Banque centrale européenne, l'Allemand Jörg Asmussen et le Français Benoît Cœuré, plaident pour que la BCE publie le compte rendu de ses délibérations. Comme cela se fait aux États-Unis. Objectif : accroître la légitimité de l'institution.

L'un est allemand et l'autre, français. Entrés tous deux au directoire de la BCE en janvier 2012, ils incarnent le renouveau de l'équipe Draghi, alors que l'institution de Francfort se prépare à être la cheville ouvrière de l'«union bancaire». Et ce sera là un événement peut-être encore plus important que la création de l'euro, selon les deux directeurs quadragénaires. Cet entretien croisé a été mené en partenariat avec le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung.

LE FIGARO. - Benoît Cœuré, votre collègue Jörg Asmussen a critiqué le gouvernement français à plusieurs reprises, lui demandant d'accélérer les réformes. On n'a guère apprécié à Paris. Et vous-mêmes?

Benoît CŒURÉ. - Je ne suis pas là pour représenter la France, pas plus que Jörg n'est le représentant de l'Allemagne. En tant que banquiers centraux, nous devons dire ce qui est bon pour la stabilité de la zone euro, indépendamment de nos nationalités.

Cela fait-il une différence d'être allemand ou français quand on travaille à la BCE?

Jörg ASMUSSEN. - Non, dans les affaires quotidiennes, les nationalités ne jouent aucun rôle.

En tant que membres du directoire, vous vous exprimez beaucoup publiquement à l'extérieur, mais en même temps les délibérations au sein du Conseil des gouverneurs sont très secrètes. N'est-ce pas contradictoire?

B. C. -La transparence est importante pour l'efficacité de la politique monétaire et la confiance envers la banque centrale. À une époque, la BCE, qui avait la première institué des conférences de presse de son président, était à la pointe en matière de communication et de transparence. Maintenant, la BCE est la seule grande banque centrale à ne pas publier les comptes rendus de ses réunions. Nos sociétés sont très demandeuses de transparence et de responsabilité. Personnellement, je pense donc que la BCE devrait commencer à publier les comptes rendus de ses réunions rapidement.

L'union bancaire est l'événement le plus important dans l'intégration européenne depuis que l'euro existe, peut-être plus important encore que l'euro lui-même

Benoît Cœuré

Jusqu'à quel niveau de détail?

J. A. - Les comptes rendus devraient inclure les noms des votants et les raisons de leurs décisions. La publication des comptes rendus contribuera à améliorer le mandat européen, parce que la BCE devra alors expliquer en quoi ses décisions sont bien en ligne avec ce mandat.

Si on indique officiellement qui a voté pour telle ou telle décision, le directoire et les gouverneurs des banques centrales nationales ne seront-ils pas en bute à d'énormes pressions de leurs secteurs financiers respectifs?

B. C. -L'autre face de la médaille, comme Jörg l'a bien dit, est que le Conseil des gouverneurs a un mandat européen. Les gouverneurs des banques centrales viennent intuitu personæ et leur mandat est européen, ils ne représentent pas leur institution ou leur pays et doivent par conséquent être comptables de la manière dont ils respectent ce mandat.

La publication des minutes pourrait intervenir rapidement, mais existe-t-il une majorité au sein du Conseil?

J. A. - Chaque majorité a commencé par être minoritaire. Le débat est en cours au sein du Conseil.

La BCE exercera la supervision du système bancaire européen à partir de l'an prochain. Quel en sera le degré de transparence?

J. A. - Au niveau national, la supervision bancaire a une responsabilité vis-à-vis du Parlement du pays. Quand la supervision sera transférée au niveau européen, il sera dans le propre intérêt de la BCE d'avoir le plus haut degré de responsabilité et de contrôle démocratique vis-à-vis du Parlement européen. C'est le partenaire qui s'impose logiquement pour cette tâche.

B. C. - Le contrôle bancaire peut avoir des implications budgétaires dans le cas où une banque devrait être restructurée. C'est pourquoi, dans notre fonction de contrôle bancaire, nous aurons encore plus de comptes à rendre qu'en matière de politique monétaire.

La BCE a déclaré début juillet que les taux d'intérêt resteraient bas pour une longue période de temps. Cela participe-t-il également de cette volonté de transparence?

B. C. - À l'évidence, oui. Nous fournissons ainsi des indications avancées sur la façon dont nous percevons les évolutions à venir de l'économie et les conséquences que nous en tirons. Et cela ne concerne pas seulement les taux d'intérêt, mais également notre politique de liquidités. Nous avons été très clairs pour dire que les banques doivent disposer d'autant de liquidités que nécessaire pour une longue période de temps.

Malgré l'abondance de liquidités, certains pays sont pourtant confrontés à un credit crunch…

B. C. - Je ne parlerai pas de credit crunch, mais certains pays font face à des conditions de crédit très serrées, et cela ne s'est guère amélioré récemment. C'est l'une des raisons pour lesquelles il faut maintenir des taux d'intérêt bas.

Mais ce n'est à l'évidence pas suffisant. L'union bancaire pourra-t-elle parvenir à stabiliser les banques dans l'Europe du Sud, de façon qu'elles puissent recouvrer leur fonction de financement de l'économie réelle?

J. A. - Oui, et à cet égard la revue de la qualité des actifs des banques que la BCE, en partenariat avec les superviseurs nationaux et des contrôleurs externes, entreprendra l'an prochain est essentielle. Les Américains ont procédé plus tôt et plus vite que l'Europe au nettoyage des bilans des banques. C'est l'une des principales raisons des conditions de crédit très tendues aujourd'hui en Europe. Cette revue commencera au début de l'an prochain. Et comme les acteurs de marché anticipent habituellement les développements, les effets en seront immédiats.

Le credit crunch est un problème pour la croissance. Quels sont, selon vous, les autres obstacles à la reprise dans la zone euro?

J. A. - La fragmentation du marché bancaire européen s'est atténuée depuis l'an dernier, mais elle reste préoccupante en effet.

B. C. - La confiance dans l'euro est rétablie et cela constitue une base solide pour un retour de la confiance dans l'économie et pour la reprise en Europe. Il faut maintenant mettre en œuvre les réformes dans tous les pays.

Mais le niveau de l'euro lui-même n'est-il pas trop élevé comparé au dollar ou au yen?

J. A. - Nous n'avons pas d'objectif de taux de change et nous le redisons sans cesse. Le cours de l'euro n'en est pas moins un signe de confiance et montre que les capitaux étrangers reviennent s'investir dans la zone euro.

B. C. - Quand on observe les performances à l'exportation des différents pays de la zone euro, on note de grandes différences: le taux de change ne peut donc être considéré en soi comme un obstacle à la croissance. Cela dit, il s'agit d'un indicateur que nous suivons étroitement.

Néanmoins, l'euro trop fortest une complainte habituelle en France…

B. C. - Là, je peux parler d'expérience! Il y a une fascination particulière en France pour les questions de taux de change qui n'est pas partagée par les autres pays. Cela ne peut servir de prétexte pour ignorer les enjeux de compétitivité structurels auxquels les entreprises françaises sont confrontées.

« Les comptes rendus des réunions de la BCE devraient inclure les noms des votants et les raisons de leurs décisions »

Jörg Asmussen

Certains redoutent en France un risque de déflation…

J. A. -Nous n'observons aucun risque de déflation. Nous voyons que les anticipations d'inflation à moyen et long terme sont bien ancrées en dessous mais très près de 2 %.

B. C. - Et c'est une grande différence avec le Japon. On compare parfois la zone euro et le Japon, mais tandis qu'au Japon la croissance faible a conduit à des anticipations déflationnistes, dans la zone euro, cela n'a jamais été le cas et, comme l'a dit Jörg, les anticipations d'inflation restent très bien ancrées.

Mais, comme au Japon, certains, dont vous-mêmes, commencent à parler en Europe de décennie perdue!

B. C. - Le risque de décennie perdue existe effectivement en Europe, si les bonnes réformes ne sont pas entreprises. Mais les défis et les réponses qu'il convient d'apporter sont très différents du Japon. Il est vrai que la crise a constitué un bond en arrière pour l'économie européenne. Mais les problèmes sous-jacents, qu'il s'agisse du déclin tendanciel de la croissance ou des promesses sociales que nous n'avons plus les moyens de tenir, étaient bien antérieurs. La crise n'est qu'un révélateur, montrant la nécessité d'y remédier de façon claire et rapide.

Le très haut niveau de chômage n'est-il pas angoissant?

J. A. - Oui, le chômage a atteint un niveau inacceptable. Mais la question est: que devons-nous faire? Nous poursuivons une stratégie en Europe fondée sur des prix stables, des politiques budgétaires saines ainsi que des réformes structurelles favorisant l'emploi et la croissance. Il faudra du temps pour en percevoir les effets positifs, mais je ne vois pas d'autre solution.

B. C. - Le haut niveau de chômage, particulièrement chez les jeunes, montre l'urgence des réformes, à la fois au niveau national et, collectivement, à l'échelle européenne.

Avec la crise, les différences entre pays tendent à s'élargir et à s'exacerber. N'est-ce pas un défi pour l'amitié entre les nations européennes?

J. A. - On ne peut nier que les stéréotypes nationaux tendent à resurgir. C'est inquiétant. Or, le cliché selon lequel les Grecs sont paresseux alors que les Allemands seraient travailleurs est tout simplement faux. La réalité est bien plus subtile.

B. C. - Le risque du nationalisme est aussi présent dans les discussions européennes, avec la tentation de défendre des intérêts nationaux étroits. Les responsables politiques doivent savoir y résister et aller de l'avant. Prenons l'exemple de l'union bancaire. C'est l'événement le plus important dans l'intégration européenne depuis que l'euro existe, peut-être même plus important encore que l'euro lui-même. Cela aura des conséquences profondes pour les modèles économiques nationaux et pour les législations nationales. Il y a des raisons d'être optimiste si cette étape décisive est franchie.

N'est-ce pas être trop optimiste? Qu'est-ce que l'Allemagne et la France peuvent faire pour surmonter ces défis?

J. A. -Il s'agit en effet de défis, mais la seule réponse possible est d'avancer dans l'intégration. La France et l'Allemagne ont un rôle commun à jouer, car les deux pays sont au cœur de l'intégration européenne. Ils peuvent ensemble, et seulement ensemble, répondre à cette définition d'une superpuissance: «Si vous agissez, chacun critique votre action. Si vous ne faites rien, on vous reproche votre inaction». Il existe certains projets que les deux pays peuvent mener ensemble. Par exemple, un siège commun de la France et de l'Allemagne au FMI serait une bonne idée. Mais il est essentiel qu'une telle initiative soit ouverte aux autres et constitue le point de départ pour un siège commun de l'Europe au FMI.

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