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Pour un nouveau modèle français

Point de vue. "La crise a fragilisé non seulement l'économie mais la démocratie française" estime le premier ministre qui détaille dans une tribune exclusive les pistes suivies par le gouvernement pour "restaurer la puissance de l'une comme de l'autre".

Publié le 03 janvier 2013 à 11h34, modifié le 03 janvier 2013 à 12h01 Temps de Lecture 10 min.

Le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, à Matignon, le 2 janvier.

La France est à la croisée des chemins. Au cours de deux siècles d'histoire républicaine, nous avons progressivement édifié un modèle politique, social et économique fondé sur quelques principes simples mais d'immense portée : la liberté, l'égalité, la fraternité. Or ce modèle est aujourd'hui fragilisé : les inégalités économiques se creusent, le chômage et la dette publique s'envolent, nos entreprises peinent à exporter comme à satisfaire la demande intérieure ; nos concitoyens dénoncent le caractère peu démocratique et opaque des décisions publiques, se détournent des urnes ou sont tentés par les extrêmes ; la défiance paralyse nos relations sociales et politiques. Le monde traverse une période de mutation, où les peuples doivent relever trois grands défis : le défi du développement, le défi écologique, et le défi démographique.

Certains, à droite, appellent à la "rupture" : nous n'aurions d'autre choix pour survivre que de renier notre histoire et nos principes. D'autres réclament le statu quo ou le retour en arrière : comme si la France pouvait rester inerte dans un monde qui change, comme si l'âge d'or était hier et qu'aucun progrès ne s'offrait pour demain.

C'est sur une autre voie que le Président de la République veut engager notre pays : renouveler en profondeur le modèle français pour l'adapter au temps présent, et donner une nouvelle réalité à ses valeurs républicaines fondatrices. Il y faut de la lucidité et du courage. J'ai présenté ce matin même en conseil des ministres la feuille de route des six mois à venir, mais nous voyons au-delà de cet horizon. Comme l'a déclaré François Hollande lors de sa conférence de presse du 13 novembre, "le déclin n'est pas notre destin".

La crise que nous traversons est d'abord économique et sociale. La tentation est grande d'en reporter la responsabilité sur autrui, d'accuser la libéralisation des échanges commerciaux et financiers, la concurrence des pays à bas coûts et les politiques conduites en Europe. Il n'est pas question de nier les dangers du néolibéralisme et du capitalisme financier : oui, il faut renforcer la gouvernance internationale de l'économie, réguler la finance, promouvoir le juste échange. Oui, les Etats européens doivent s'entendre sur des règles sociales et fiscales communes, et mener une politique de croissance à l'échelle du continent : le président de la République et le gouvernement s'y emploient. Mais n'oublions pas que la mondialisation est aussi l'occasion d'élargir la diffusion de nos produits, d'attirer des entreprises et des emplois et de bénéficier d'innovations venues d'ailleurs.

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LA CRÉATIVITÉ DE LA FRANCE EST INTACTE

La France, avec ses 120 000 entreprises exportatrices et sa créativité intacte, n'a aucun intérêt à se replier sur elle-même. N'oublions pas non plus que d'autres pays s'en sortent mieux que nous : les pays scandinaves et l'Allemagne ont su rendre leur appareil économique plus performant. A nous d'y parvenir sans renoncer à notre système social protecteur. Cela exige avant toute chose de remédier à nos propres faiblesses, et de mieux tirer parti de nos innombrables atouts. Soyons clairvoyants pour identifier les causes de nos difficultés et de nos succès, et soyons audacieux pour procéder aux réformes nécessaires : c'est ainsi que nous rendrons notre modèle économique et social plus compétitif et plus solidaire, et que nous assurerons l'avenir de notre jeunesse.

Nous n'y réussirons qu'en rassemblant nos forces, et c'est pourquoi le gouvernement a fait le choix d'une méthode : le dialogue et la coopération entre l'Etat, la société civile – partenaires sociaux, associations et citoyens – et les collectivités territoriales. La concertation et la négociation peuvent susciter des impatiences, elles sont moins médiatiques qu'une série d'annonces précipitées et sans lendemain ; mais cette méthode est la condition de réformes intelligentes et durables. Car de grands chantiers s'ouvrent devant nous.

Il nous faut d'abord repenser le rôle des pouvoirs publics. Les moyens mis à la disposition de l'Etat et des collectivités territoriales doivent être adaptés aux objectifs politiques définis par la délibération collective : c'est l'évidence même. Pourtant, depuis trop longtemps, on a renoncé à s'interroger sur ces objectifs et à les hiérarchiser. L'Etat a délaissé sa fonction stratégique. C'est la raison pour laquelle la dépense publique a perdu de son efficacité : elle est passée en cinq ans de 52 à plus de 56 % de la richesse nationale, sans que notre niveau de vie ait progressé. L'endettement affaiblit notre souveraineté en nous soumettant aux exigences des marchés financiers, il reporte une charge insupportable sur les générations futures, et il nous prive de moyens, puisqu'une part croissante de nos impôts sert à payer nos créanciers.

Le gouvernement a donc entrepris immédiatement un effort de redressement budgétaire et de rénovation de l'action publique. Il ne s'agit pas de tailler indistinctement dans les dépenses et les effectifs de la fonction publique, comme faisait la majorité précédente, mais de supprimer les doublons et les dépenses inutiles, et de répondre plus efficacement aux besoins d'aujourd'hui. Dans le domaine de la santé, par exemple, nous rendrons à l'hôpital public les moyens d'accomplir ses missions fondamentales, tout en l'insérant dans un véritable parcours de soins, ce qui implique bien sûr de lutter contre les déserts médicaux. D'une manière générale, nous entendons moderniser l'action publique pour mieux servir les Français, grâce à la coopération de tous, élus, fonctionnaires et usagers. La nouvelle étape de la décentralisation répondra au même souci d'efficacité, grâce à une meilleure répartition des tâches entre l'Etat et les différents niveaux de collectivités.

LUTTER CONTRE LE CHÔMAGE

Pour lutter contre le chômage, qui ne cesse de progresser depuis dix-neuf mois, nous avons également l'obligation de revoir les règles qui gouvernent le monde du travail. Il faut nous accorder sur un diagnostic et sur des remèdes : aussi le gouvernement a-t-il choisi de donner toute sa place au dialogue social et de renforcer la démocratie dans l'entreprise. D'ores et déjà, les organisations syndicales et patronales ont soutenu la création des emplois d'avenir et défini les modalités du contrat de génération, afin de donner toutes leurs chances aux jeunes et aux seniors dans notre appareil productif dès 2013. La négociation sur la sécurisation de l'emploi doit aboutir à d'autres compromis novateurs : lutter contre la précarité au travail, c'est refaire du CDI la forme normale d'embauche, encadrer le recours au temps partiel, mais aussi anticiper collectivement les mutations économiques et aider les entreprises à surmonter les difficultés conjoncturelles sans licencier. Faute d'accord, le gouvernement prendra ses responsabilités et demandera au Parlement de trancher. Mais j'insiste : il est urgent de renouer avec une culture de la responsabilité partagée au service de l'emploi et de l'intérêt général.

Nous ne saurions nous dispenser d'une politique industrielle ambitieuse, afin de recréer des emplois et des richesses à partager. Pour redonner des marges à nos entreprises, notamment petites et moyennes, il est certes nécessaire de diminuer leurs coûts de production. Mais la compétitivité repose sur bien d'autres facteurs : des infrastructures publiques efficaces, une formation professionnelle et un travail de qualité, une recherche publique et privée performante, une politique commerciale réactive. C'est une stratégie de montée en gamme que poursuit le gouvernement au travers du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi : au lieu de vendre nos produits moins cher en abaissant notre niveau de vie, il s'agit d'offrir de meilleurs produits, en choisissant l'innovation, la spécialisation, l'investissement dans les secteurs d'avenir.

Nous défendons ainsi le travail, par des réformes concrètes : notre objectif est que tous les Français puissent trouver un emploi stable, valorisant et justement rémunéré. Pour ceux qui peinent à trouver leur place dans notre économie, chômeurs de longue durée, travailleurs pauvres ou jeunes sans formation ni emploi, l'Etat doit renforcer ses politiques de solidarité, en s'appuyant là encore sur la mobilisation des collectivités, des associations et des entreprises. L'Etat consentira les efforts budgétaires nécessaires pour améliorer l'accompagnement des personnes confrontées à la pauvreté ou à la précarité, et leur permettre de retrouver un emploi durable, un logement décent, une offre de soins satisfaisante. Quant aux personnes âgées ou souffrant de handicaps, elles doivent recevoir les moyens de leur autonomie : il est indispensable de mieux prendre en charge la dépendance, tout comme d'assurer l'équilibre à long terme de notre système de retraites.

La compétitivité et la solidarité ne sont nullement antinomiques : une société se renforce en accordant à chacun de ses membres les moyens de s'accomplir, et les richesses ainsi créées servent à leur tour à financer des politiques sociales ambitieuses. La France, grâce à son dynamisme démographique, pourrait être dans une trentaine d'années le pays le plus peuplé d'Europe, avec une jeunesse pleine d'élan, une population active nombreuse et des seniors riches d'expériences à transmettre. Mesurons cette chance exceptionnelle, et saisissons-la !

LE DÉFI ÉCOLOGIQUE ET LA PROMOTION DE LA LAÏCITÉ

Notre nouveau modèle de développement doit apporter une réponse raisonnée aux défis écologiques. Le réchauffement climatique et l'épuisement des ressources naturelles imposent de réduire notre dépendance aux énergies fossiles et de promouvoir les énergies renouvelables ; l'équité sociale l'exige aussi, car les ménages les plus modestes souffrent le plus du renchérissement de l'énergie. Voilà pourquoi nous avons lancé un débat national sur la transition énergétique, et travaillons à la mise en place d'une tarification progressive de l'électricité et du gaz, qui réduira le coût des consommations courantes et pénalisera le gaspillage. Plus largement, il importe d'inventer des modes de production et de consommation plus économes, plus respectueux des écosystèmes et de la santé humaine. La France, terre d'innovation, peut être à la pointe de cette transition écologique, formidable accélératrice de croissance.

Réinventer le modèle français, c'est enfin accomplir dans tous les domaines la promesse républicaine de l'égalité, car une société ne peut s'édifier sans une égale considération pour chacun. C'est donner à tous nos enfants les mêmes chances de réussir : aussi faisons-nous de la refondation de l'école une priorité, en prêtant une attention toute particulière à l'école primaire, car les inégalités se jouent dès le plus jeune âge. C'est lutter sans relâche, trente ans après la marche des Beurs, contre les discriminations liées à l'origine sociale ou ethnique, à l'identité ou à l'orientation sexuelle : voilà le sens du combat quotidien de mon gouvernement pour l'égalité entre les femmes et les hommes, contre les discriminations à l'embauche et les contrôles abusifs, ou encore du projet de mariage pour tous.

C'est promouvoir la laïcité face à la montée des communautarismes, et renouer avec notre tradition d'intégration sans nier la riche diversité des cultures. C'est assurer l'égalité des territoires dans l'accès aux services publics, et travailler à l'inclusion des quartiers urbains défavorisés, des campagnes éloignées et de tous les territoires affectés par les mutations économiques, en métropole comme en outre-mer. C'est garantir à chaque citoyen le droit à la sécurité. C'est réformer nos institutions pour que les Français n'aient plus le sentiment d'être dirigés par une classe politique lointaine, qui concentre excessivement les pouvoirs : nous entendons mettre fin au cumul des mandats, garantir l'indépendance de la justice et rendre nos assemblées parlementaires plus représentatives.

La France n'a pas besoin de renier son âme pour sortir de la crise et regagner sa force et son rayonnement. Au cours de son histoire, notre peuple a montré qu'il était capable de surmonter les épreuves et de renouer avec le progrès. Ne sous-estimons pas notre influence dans le monde : nombreux sont ceux qui regardent vers la France, qui aiment son histoire, les valeurs universelles qu'elle incarne, sa créativité culturelle, son art de vivre. Ils attendent beaucoup de nous. Pour reprendre les termes de François Hollande lors de son discours fondateur du Bourget, "la France n'est pas un problème, la France est la solution !" La tâche qui nous incombe, c'est de renouveler notre organisation politique, sociale et économique, nos relations réciproques et notre rapport à l'environnement, pour rester fidèles à nos principes fondamentaux et retrouver fierté, cohésion et confiance en nous-mêmes. La France doit être plus accueillante à la prise de risque, à l'innovation économique et sociale, à la création d'entreprises comme à la création artistique. L'Etat doit demeurer le garant de l'intérêt général et de la solidarité nationale, assumer son rôle de stratège, tout en réinventant ses modes d'intervention et en s'appuyant résolument sur les forces vives du pays.

Tel est le sens du nouveau modèle français qui inspire l'action de mon gouvernement.

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