Littérature : « Les Inséparables » ou l’ambiguë amitié de Simone de Beauvoir pour Zaza

Dans un texte inédit à paraître le 7 octobre prochain aux Éditions de L’Herne, Simone de Beauvoir narre son amitié avec Élisabeth Lacoin, jusqu’à la mort subite de cette dernière, au jeune âge de 22 ans.
Littrature  « Les Insparables » ou lambiguë amiti de Simone de Beauvoir pour Zaza
Keystone-France/Gamma-Keystone/ Getty Images

Sur la première de couverture du livre, une jolie photo datant de 1928 oùSimone de Beauvoir et son amie Élisabeth Lacoin, dit Zaza, se font face dans le jardin de sa maison de vacances à Gagnepan ; mêmes cheveux bruns coupés en carré et mêmes longues robes blanches : elles sont chacune le miroir de l’autre. Elles ont vingt ans et elles sont semblables à des inséparables ; surnom donné en référence à ces magnifiques oiseaux aux couleurs tropicales par leurs institutrices du cours Desir, rue Jacob à Saint-Germain-des-Prés.

Le manuscrit de ce court roman (ou longue nouvelle) a été écrit en 1954 par Simone de Beauvoir. Hésitant à le publier de son vivant, le trouvant trop intime, elle l’achèvera et le placera dans ses projets de publication, confiés à sa mort à Sylvie Le Bon de Beauvoir, sa fille adoptive, laquelle décidera de publier le texte 66 ans plus tard. Les Inséparables est d’ailleurs brièvement évoqué dans un passage de La Force des choses, publié en 1963. Après avoir édité en 2013 son cahier et son roman Malentendu à Moscou, les éditions de L’Herne reprennent donc sans hésiter ce texte inédit de l’autrice décédée le 14 avril 1986.

De la fiction à la réalité

Toute la force du récit réside dans l’ambiguïté des sentiments qu’éprouve la narratrice Sylvie Lepage, alter-égo de l’écrivaine, pour Andrée Gallard, l’avatar de Zaza Lacoin. Amies dès le plus jeune âge, elles grandiront et s'éléveront ensemble. « Nous causions, c’était un plaisir neuf », écrit Simone de Beauvoir. En effet, leurs discussions occupent une grande place dans le texte, se voulant un « artifice littéraire », « une histoire inspirée de nous », explique l’autrice derrière l’essai féministe et existentialiste Le Deuxième Sexe (1949), dans son épigraphe.

Religion, politique, lectures, garçons… aucun sujet ne passe à la trappe : les deux jeunes filles, qui grandissent à mesure que les pages du récit avancent, n’ont pas de tabou. Le seul sujet ambigu est leur relation. Sylvie Lepage, la narratrice, aime Andrée Gallard, l’héroïne du roman. Mais Andrée voit des garçons, Sylvie ne pense qu’à elle ; et lui avouera. Sensation d'un amour à sens unique. Mais comment ne pas tomber amoureuse d'Andrée (et a fortiori de Zaza), cadette des filles de sa famille, anticonformiste, libre, brillante, drôle et profondément vivante ? Comment mettre des mots sur des sentiments et une attirance physique pour une femme au début des années 1920 ? « Elle est très jolie » fait penser l'autrice à sa narratrice alors âgée de 15 ans.

La question du mariage d’Andrée, alors encore adolescente préoccupera les deux jeunes filles ; le poids des traditions familiales et religieuses frustrera la principale intéressée. Migraines à répétition, mutilation soi-disant involontaire, perte de poids, la jeune femme ne va pas bien. Sylvie le voit, mais elle est impuissante, la mère de son amie ne l’apprécie pas vraiment, elle préfère surcharger sa fille et menace de l’envoyer à Cambridge, en Angleterre…

Dire son amour

Le décès soudain de Zaza marquera à vie Simone de Beauvoir, qui l’évoquera dans plusieurs de ses livres, dont les Mémoires d’une jeune fille rangée (1958) et un passage supprimé de son roman Les**Mandarins (1954), récompensé du Prix Goncourt. Sylvie Le Bon de Beauvoir note d’ailleurs dans l'introduction des Inséparables que chacune des quatre parties des Mémoires d’une jeune fille rangée se termine par les mots suivants : « Zaza », « raconterais », « la mort », « sa mort ». Dans ce nouveau roman posthume, Simone de Beauvoir pense à travers sa narratrice : « Vivre sans elle, ce n’était plus vivre ».

Celle qui croyait à l’amour nécessaire et aux relations contingentes, la compagnonne de route de Jean-Paul Sartre, avec qui elle fonda la revue des Temps Modernes, est profondément touchante dans ce texte inédit ; sincère, vraie, crue, la vérité du propos dépasse le caractère fictionnel du texte et souligne la nécessité de dire à l’être aimé qu’on l’aime, avant qu’il ne soit trop tard.

Les Inséparables paraîtra le 7 octobre prochain aux Éditions de L’Herne.